Kamal TOURÉ : le développement des Cybercrimes, la prévention et la lutte contre les abus sexuels des enfants en ligne et l'apport de l'ONUDC Afrique.

La rapidité de l'innovation technologique et l'accessibilité généralisée des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ont transformé les sociétés du monde entier. De nos jours, tout le monde et plus particulièrement les enfants ont un accès souvent incontrôlé et démesuré aux ordinateurs et à tout autre outil numérique. Ces dernières années, ces derniers ont eu tendance à les adopter dès leur plus jeune âge, si bien que les TIC font désormais partie intégrante de leur vie. Même si l'exploitation des enfants n'est pas un phénomène nouveau, l'ère numérique a exacerbé le problème et rendu les enfants plus vulnérables. L'abus sexuel d'enfants en ligne et l'exploitation sexuelle d'enfants en ligne impliquent l'utilisation des Technologies de l'Information et de la Communication comme moyen d'abuser sexuellement et/ou d'exploiter sexuellement des enfants. 

Africa Cybersecurity Mag s'est entretenu à ce sujet avec un expert de la question. Il s'agit de Kamal TOURE, coordonnateur de Projet Cybercriminalité pour le compte du Programme Mondial sur la Cybercriminalité de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) /Bureau Régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Dakar au Sénégal. Basé au Bureau Régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Dakar au Sénégal, son travail consiste à coordonner les différentes activités de l'ONUDC dans la sous-région et à s’assurer de leur bon déroulement sur le terrain. 


Africa CyberSecurity Mag : Depuis quelques années, l’unité Afrique de l’ouest  de l'ONUDC est très active sur les questions de Cybersécurité et sur la lutte contre les cybercrimes. Parlez-nous  de l'ONUDC, sa mission et ses actions en Afrique de l’Ouest.

Kamal TOURE : L’ONUDC est l’Agence des Nations Unies qui a le mandat du Secrétaire Général des Nations Unies pour lutter contre toutes sortes de crimes, y compris la cybercriminalité. Elle le fait par l’Intermédiaire du Programme Mondial sur la Cybercriminalité, qui accompagne les pays membres dans leur lutte contre la cybercriminalité.  Le Programme Mondial sur la Cybercriminalité est présent au bureau régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre et couvre tous les 22 pays de la région ainsi que les autres pays africains. Ses actions sont articulées autour de cinq grandes thématiques : 

  • le renforcement des capacités des agences d’application de la loi et de la Justice à mener des investigations numériques, à rechercher des preuves numériques et à juger les crimes cyber dépendants ou facilités par l’utilisation de la technologie.
  • le renforcement du cadre législatif pour permettre aux pays d’avoir un cadre juridique à jour, leur permettant de mieux juger les cas de cybercriminalité.
  • la coopération Internationale : la cybercriminalité n’a pas de frontières et les pays sont obligés de coopérer entre eux pour y mettre fin (demande d’assistance judicaire, extradition, etc.) 
  • le don d’équipements : La recherche de preuves numériques nécessite des équipements matériels et logiciels spécialisés 
  • la prévention : le meilleur moyen de lutter contre un crime est d’empêcher qu’il soit commis


Africa CyberSecurity Mag : Quelles sont les plus grandes menaces de cybercrimes auxquelles fait face l'Afrique de l’Ouest  ces dernières années ? 

Kamal TOURE : Selon l’évaluation des cybermenaces en Afrique effectuée par Interpol en 2021 et en se basant sur nos observations sur le terrain, il y a cinq grandes cyber menaces. En termes de quantité, la plus grande menace cybercriminelles à laquelle l’Afrique fait face ces dernières années est sans doute la sextorsion ou chantage à la webcam où un individu menace de diffuser les photos et vidéos intime d‘un autre contre une somme d’argent ou d’autres faveurs. Viennent ensuite le hameçonnage et les arnaques et escroqueries en ligne en tout genre (arnaques à la loterie, à l’héritage, au visa, à l’emploi, etc.). Pour finir on a les cybercrimes techniquement plus avancés comme les virus, les piratages informatiques, les spywares (logiciels qui volent les informations personnelles), les rançongiciels (virus qui bloque l’accès au système informatique des entreprises contre demande d’une rançon), dont le nombre est moins élevé mais dont l’impact est beaucoup plus lourd en conséquence et extrêmement couteux pour les victimes. 


Africa CyberSecurity Mag :  Du 14 au 18 mars, des juges, des procureurs et des agents des services répressifs marocains ont participé à un symposium de cinq jours sur la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants en ligne. Symposium organisé justement par le Programme mondial de lutte contre la cybercriminalité en Afrique de l'Ouest de l'ONUDC et le FBI américain avec le soutien de la NCA Border Force du Royaume-Uni. Quel est l’état des lieux de la lutte contre ce type de cybercrimes en Afrique et quelles sont les actions de l’ONUDC pour éradiquer ce phénomène ? 

Kamal TOURE : L’exploitation sexuelle des enfants en ligne fait partie des cybercrimes contre lesquels le Programme mondial sur la cybercriminalité de l’ONUDC lutte activement, à cause de leur nature et de la nature de leurs victimes qui sont très influençables et fragiles et dont les conséquences peuvent se répercuter sur plusieurs générations. Malheureusement les pays africains ne sont pas assez équipés pour lutter contre ce type de crime qui passe souvent inaperçu. C’est pour cela que l’ONUDC s’allie avec plusieurs partenaires pour former les forces de l’ordre et les magistrats des pays africains pour détecter, enquêter et juger ces crimes. Par exemple, à la suite du Symposium que vous citez, Le Maroc a conduit presque une centaine d’investigation et plus d’une dizaine de suspects ont pu être arrêtés.


Africa CyberSecurity Mag : Dans le cadre de la commémoration de la Journée mondiale de l’enfant africain en 2021, Facebook s'est associé à des organisations de défense des droits humains dans les pays d'Afrique francophone, notamment au Cameroun, au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, et la Commission de protection des données Personnelles (CDP) du Sénégal, pour le lancement d'une campagne d’intérêt public sur les abus sexuels sur les enfants. Quelles sont les relations de l’ONUDC avec les géants de plateformes de réseaux sociaux pour restreindre les contenus d’abus à caractère sexuel en ligne en Afrique ? Avez-vous un pouvoir de contraintes en termes de fondements sur ces acteurs ?

Kamal TOURE : L’ONUDC travaille main dans la main avec les géants des plateformes des Réseaux Sociaux pour mieux lutter contre les abus sexuels des enfants en ligne. Ils participent à plusieurs de nos activités et informent les pays sur les procédures à suivre pour obtenir la suppression ou la restriction de contenus d’abus en tous genres y compris les abus sexuels des enfants en ligne. Cette coopération avec le secteur privé se fait sous forme de partenariat où chaque entité a la liberté de prendre la décision finale sur les actions à entreprendre dans cette lutte.


Africa CyberSecurity Mag : L’un des points majeurs dans l’enquête et les investigations sur les CyberCrimes transfrontaliers est la coopération. Comment l'unité cybercrime de l'ONUDC en afrique de l’ouest aide au développement d’une meilleure coopération entre les états pour prévenir et arrêter les cybercriminels ?

Kamal TOURE : Comme je l’ai dit plus haut, la coopération internationale est indispensable pour lutter contre la cybercriminalité. L’ONUDC facilite cette coopération en organisant des ateliers régionaux, ce qui permet aux différentes unités de lutte contre la cybercriminalité des pays de la sous-région de se connaître et de mieux collaborer. Par ailleurs le Programme Mondial sur la Cybercriminalité encourage également les pays à utiliser les plateformes légales existantes de partage d’information comme celles de l’ONUDC (WACAP, PCJS, etc) ou de ses partenaires comme INTERPOL (WAPIS, I24/7, etc) et bien entendu les demandes d’entraide judiciaires existant entre les pays.


Propos receuillis par la rédaction d'Africa Cybersecurity Mag