État des lieux et importance de la sensibilisation à la cybercriminalité en Côte d'Ivoire

Vladimir AMAN, Expert en cybersécurité

 

La cybercriminalité est un fléau mondial qui touche particulièrement les pays en développement, dont la Côte d'Ivoire.  Alors que le pays progresse vers une transformation numérique accélérée, les cyberattaques, allant du phishing à l'usurpation d'identité et aux escroqueries financières, se multiplient, mettant en péril la sécurité des données personnelles et des infrastructures critiques. En dépit de la mise en place des dispositifs législatifs et de structures pour lutter contre ce phénomène, la sensibilisation reste un défi majeur. La majorité des attaques cybercriminelles en Côte d'Ivoire sont facilitées par un manque de connaissance et de préparation des utilisateurs face aux risques numériques. Dans ce contexte, la sensibilisation à la cybersécurité devient une priorité pour protéger les citoyens et les entreprises. Il est crucial d'éduquer la population, d'améliorer la culture numérique et d'inculquer les bonnes pratiques de sécurité pour limiter les impacts de ces attaques.

Pour aborder ces enjeux, nous avons le privilège d'accueillir Vladimir AMAN , Expert en cybersécurité, qui nous fera partie de son analyse de la situation actuelle et de l'importance de la sensibilisation pour réduire les risques liés à la cybercriminalité en Côte d'Ivoire.

Africa CyberSecurity Mag : Quel est l’état des lieux de la cybercriminalité aujourd’hui en Côte d'Ivoire ?

Vladimir AMAN: Pour faire un état des lieux de la cybercriminalité en Côte d'Ivoire, il faut revenir aux origines du phénomène. L'arrivée d'Internet en Côte d'Ivoire remonte à 1995-1996, et les premiers actes de cybercriminalité ont commencé à être recensés autour de 1999-2000. Toutefois, c'est en 2006 que le phénomène a connu une expansion notable avec le développement des escroqueries liées aux TIC. En 2006, il y a eu un pic avec l'expansion de cette forme de cybercriminalité. Depuis, ce phénomène n'a cessé de croître, représentant aujourd'hui un préjudice financier estimé à 5 milliards par an. Ce préjudice est lié à la portion de cybercriminalité portée à la connaissance des autorités judiciaires. Malgré les efforts déployés par l'État de Côte d'Ivoire, les escroqueries classiques persistent, mais on observe également une mutation du phénomène, avec des formes plus techniques, comme les intrusions dans les systèmes d'information et l'utilisation de ransomware. Les mesures mises en place ont freiné partiellement le phénomène, mais celui-ci demeure présent, bien qu'il se manifeste sous de nouvelles formes.

Africa CyberSecurity Mag : Quelles mesures le gouvernement ivoirien a-t-il mises en place pour lutter contre la cybercriminalité ? Sont-elles efficaces face à la réalité des menaces actuelles ?

Vladimir AMAN: L'État de Côte d'Ivoire a initié ses premières actions en 2008, visant à établir un cadre technique et institutionnel. En 2017, la création de la Direction de l'informatique et des traces technologiques a permis de mieux structurer la lutte contre la cybercriminalité. La même année, sous l'égide de l'Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d'Ivoire (ARTCI), une équipe de réponse aux incidents de sécurité informatique, le CI-CERT, a été mise en place pour fournir un appui technique à la police, qui manquait de moyens et de connaissances techniques. En 2011, une plateforme de lutte contre la cybercriminalité a été créée, réunissant des fonctionnaires de police et des personnels civils issus du CI-CERT. Ce modèle de coopération a été essentiel dans la lutte contre la cybercriminalité en Côte d'Ivoire. En 2013, un cadre légal a été mis à jour avec la loi 2013-451 relative à la lutte contre la cybercriminalité, qui définit les infractions pénales et les procédures en matière de cybercriminalité. De plus, la Côte d'Ivoire a adhéré à la Convention de Budapest et à la convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles. En 2024, la création de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information a permis de centraliser toutes les fonctions liées à la cybersécurité et à la lutte contre la cybercriminalité.

Quant à l'efficacité de ces mesures, bien qu'elles aient permis des progrès, beaucoup de choses restent à faire. La cybercriminalité évolue rapidement avec les avancées technologiques. Le pays a bien compris la nécessité de renforcer ses efforts, d'où la création de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) en octobre 2024, qui vise à centraliser les actions et à optimiser les ressources pour une plus grande efficacité.

Africa CyberSecurity Mag : Quelles initiatives sont actuellement en place en Côte d'Ivoire pour sensibiliser la population aux dangers de la cybercriminalité ?

Vladimir AMAN: En termes d'initiatives de sensibilisation, il faut noter d'abord que la plateforme de lutte contre la civile criminalité initie beaucoup de tournées de sensibilisation dans les lycées et collèges en ciblant majoritairement celles qu'on appelle les cibles prioritaires, ce sont les jeunes, parce que la plupart des personnes qui sont interpellées en termes de cyberescroquerie restent majoritairement des jeunes, et les victimes également sont ces couches de la population. Il y a des campagnes de sensibilisation de proximité qui sont organisées par la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) sur les aspects judiciaires. 

De plus, il y a quelques années, au niveau de l’ARTCI, la mise en place d’un portail national destiné à la protection des enfants en ligne. C'est un site Internet qui contient énormément d'informations. De même des outils qui permettent d'assurer la protection des enfants, prodiguer des conseils, prodiguer également des outils pour les enfants et aussi pour les parents. Nous avons au niveau du CI-CERT, depuis quelques années, développé un programme national de formation et sensibilisation qui s'appelle DigiSec. En gros, c'est un programme de formation qui est gratuit, qui a été élaboré et juste sur une requête, qui permet de dépêcher les équipes au sein d'entreprises, du secteur privé, du secteur public, pour apporter de l'information aux utilisateurs qui sont dans le monde professionnel. Ces initiatives, elles sont un bon début, mais il faut reconnaître qu'elles n'ont pas forcément l'impact en termes de sensibilisation au grand public, et c'est justement là qu'il faut appeler à une coopération, une coordination de l'ensemble des acteurs, parce que quoi qu'on dise, cette sensibilisation ne peut être exclusive aux  institutions d'État. Il faut également que les fonctionnaires d'accès à Internet, la société civile, le secteur privé, etc., mettent la main à la pâte pour qu’on puisse étendre ces messages de sensibilisation et ces campagnes-là.

Africa CyberSecurity Mag : Quels sont les défis majeurs qui freinent la lutte contre la cybercriminalité en Côte d'Ivoire ?

Vladimir AMAN: Les défis majeurs freinant la lutte contre la cybercriminalité sont multiples. Le manque d'efforts de sensibilisation et d'éducation numérique constitue un obstacle majeur. Beaucoup de victimes sont mal informées et vulnérables à des escroqueries en ligne. Il est crucial de sensibiliser toute la population, y compris celles qui n'ont pas accès aux médias sociaux ou qui ne maîtrisent pas le français. La coopération entre les États demeure également un défi important, car la cybercriminalité dépasse les frontières et nécessite une coopération internationale renforcée. 

En outre, la lutte contre la cybercriminalité est une guerre asymétrique, où l'ennemi peut résider dans n'importe quel pays, rendant l'identification des cybercriminels très difficile. Le manque de ressources humaines qualifiées est un autre défi, car il n'existe pas encore de cursus de formation spécifique pour les forces de l'ordre et les magistrats en Côte d'Ivoire. Enfin, la cybercriminalité ne doit pas être vue comme un centre de coût dans le budget des États, mais comme un investissement qui permet de renforcer la confiance numérique et, par conséquent, le développement du secteur des TIC et de l'économie nationale. Enfin, un autre défi est la rapidité d'évolution de la technologie, qui rend nécessaire une veille technologique constante et des efforts soutenus pour suivre ces évolutions et former les acteurs impliqués.

Africa CyberSecurity Mag : Quel est votre mot pour conclure cette interview ?

Vladimir AMAN: La question de la cybercriminalité et la cybersécurité doivent être envisagé comme une question sociétale, et non seulement technique. Avec l'intégration des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans toutes les activités quotidiennes, il est crucial de renforcer la confiance numérique pour soutenir l'innovation et le développement économique. La cybersécurité ne doit pas être perçue comme un domaine réservé aux experts, mais comme un enjeu collectif. Il est nécessaire de rassembler toutes les compétences et forces vives pour mettre en place des mécanismes de protection qui permettent aux utilisateurs de naviguer sereinement dans l’espace numérique. L'objectif est de faire de ces outils des leviers pour résoudre les problèmes sociaux et stimuler la croissance. Il est aussi essentiel de favoriser des échanges réguliers pour proposer des solutions et mieux maîtriser les effets de la cybercriminalité.

Propos recueillis par Christelle HOUETO, journaliste digital