L'état actuel de la cybercriminalité en Afrique
L'état actuel de la cybercriminalité en Afrique suscite de vives préoccupations à l'échelle continentale et internationale. Avec l'avènement rapide des technologies de l'information et de la communication sur le continent, l'Afrique est devenue une cible croissante pour les cybercriminels. Cette montée en puissance de la cybercriminalité représente un défi majeur pour les gouvernements, les entreprises et les citoyens africains, qui sont confrontés à une série de menaces en constante évolution. Quels sont les défis et initiatives mise en places pour lutter contre les cybercrimes ?
Kamal TOURE, Coordonnateur Régional du Programme de Lutte contre la Cybercriminalité pour l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), nous apporte ici quelques précisions dans cette nouvelle édition du cyberinterview sur Africa Cybersecurity Mag.
Africa CyberSecurity Mag: Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les pays de l'Afrique de l'Ouest et du Centre en matière de lutte contre la cybercriminalité sont confrontés ? pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?
Kamal TOURE: À mon avis, le premier défi est technologique La technologie évolue rapidement. Les cybercriminels trouvent toujours de nouvelles façons de commettre leurs crimes et les forces de l'ordre peuvent parfois avoir du mal à suivre, car il faut du matériel technologique de pointe pour mener des enquêtes numériques. Le principal défi, quand je parle de technologie, je parle également de matériel. Qui parle de matériel parle également de budget. C'est donc le second défi qui est financier. Il est crucial que les États investissent de façon importante dans le matériel pour lutter contre la cybercriminalité. Le troisième défi, qui n'est pas le moindre, est celui de la formation et de la connaissance.
En effet, les forces de l'ordre et les magistrats ne sont pas pour la plupart formés pour lutter contre la cybercriminalité, qui est un crime assez nouveau et qui ne rentre pas dans le cadre de leur formation. C'est pourquoi nous plaidons pour un renforcement des capacités des forces de l'ordre et des acteurs de la justice pour mieux lutter contre la cybercriminalité.
Africa CyberSecurity Mag : Pouvez-vous nous parler des initiatives et des projets spécifiques de l'ONUDC pour lutter contre la cybercriminalité dans la région ?
Kamal TOURE: L'ONUDC essaie de répondre à ces défis. Nous faisons beaucoup de renforcement des capacités des acteurs de la cybercriminalité, notamment les forces de l'ordre, la police, la gendarmerie, et les acteurs de la justice, les magistrats, pour que toute la chaîne pénale soit formée à pouvoir mener des investigations numériques, faire de la criminalistique numérique, des extractions, monter un dossier, faire des enquêtes et aller devant le juge qui pourra comprendre et condamner en fonction des lois. Le deuxième point est qu'il faut que les lois existent et donc il faut que les pays mettent à jour leur arsenal juridique pour pouvoir faire face à la cybercriminalité.
Un autre point sur lequel l'ONUDC agit est également la prévention. Le meilleur moyen de lutter contre un crime est de faire en sorte que le crime ne soit pas commis. Nous essayons de mener des campagnes, parfois à l'échelle nationale, mais aussi de former les autres parties prenantes de la lutte contre la cybercriminalité, notamment les élèves, les étudiants, les professeurs et les parents. Les élèves ont tous des portables et des outils technologiques et font face à la cybercriminalité aussi, faisant partie même des personnes les plus vulnérables.
Nous essayons d'aller dans des écoles et de travailler avec des acteurs de l'éducation pour sensibiliser. Nous travaillons par ailleurs avec des ONG locales qui pourront aller dans les quartiers et aussi faire de la sensibilisation là où nous ne pourrons peut-être pas aller. Nous travaillons avec plusieurs acteurs pour essayer de sensibiliser. Le dernier point sur lequel l'ONUDC aide les pays à lutter contre la cybercriminalité est le don d'équipements lorsque c'est possible. Ce n'est pas toujours possible, car cela dépend de la disponibilité des fonds et des bailleurs, mais lorsque c'est possible, nous essayons de renforcer les unités de lutte contre la cybercriminalité avec des outils qui leur permettent de mieux lutter contre la cybercriminalité, comblant ainsi le défi technologique.
Africa CyberSecurity Mag: Quels sont les rôles et responsabilités des différentes parties prenantes (gouvernements, entreprises, société civile) dans la prévention et la lutte contre la cybercriminalité ?
Kamal TOURE: Le rôle des parties prenantes doit commencer par les États. Il est temps que les États investissent dans la lutte contre la cybercriminalité. Il est temps que les budgets des États contiennent des lignes budgétaires pour la lutte contre la cybercriminalité, que la police, la gendarmerie, les magistrats soient formés à la lutte contre la cybercriminalité.
Et d'ailleurs, j'appelle à inclure cette lutte contre la cybercriminalité dans les curriculums des écoles de formation de police et dans les écoles de formation des magistrats. Pour cela, le gouvernement doit dégager une ligne budgétaire pour la formation des acteurs de la chaîne Pénale. Maintenant, pour les acteurs non gouvernementaux, on va parler des institutions comme l'ONUDC par exemple. Tout ce qu'on peut faire, c'est trouver des fonds et essayer de venir aider les gouvernements, de venir en soutien, d'apporter un plus. Les autres acteurs, la société civile, elle, ce qu'elle peut faire, c'est former les populations, informer, alerter, prévenir. Beaucoup d'ONG et d'associations le font par exemple.
Africa CyberSecurity Mag : Quelles sont les mesures concrètes que les individus et les organisations peuvent prendre pour se protéger contre les cybermenaces dans un contexte africain ?
Kamal TOURE: Dans un contexte africain, il faut s'informer, se former et s'éduquer. C'est principalement cela. Il n'y a pas d'autres formules magiques. Il faut apprendre à manipuler ces outils. C'est pourquoi j'appelle à inclure la sensibilisation à la cybercriminalité dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge pour sensibiliser les élèves aux risques d'Internet et leur apprendre comment les déjouer et comment utiliser Internet de manière productive. Ainsi, plus les gens seront formés, moins il y aura de victimes.
Africa CyberSecurity Mag: Aujourd’hui, on parle d’Intelligence artificielle générative, de fraude Gpt, selon vous a-t-on des raisons de s’inquiéter ?
Kamal TOURE: Oui, on a toutes les raisons de s'inquiéter car par exemple, si vous prenez un des cybercrimes les plus courants, la sextorsion ou chantage à la webcam, qui consiste à faire chanter quelqu'un en ayant obtenu des images intimes de cette personne, aujourd'hui, on n'a même plus besoin d'obtenir des images de cette personne. On peut prendre des images de quelqu'un sur Internet, utiliser l'intelligence artificielle et générer des images ou vidéos d’eux dans des situations intimes et les faire chanter avec cela. De plus, l'intelligence artificielle permet de générer des e-mails ou des SMS de phishing, qui sont tellement réalistes que les gens tombent dedans et tombent dans la fraude.
En conclusion, si tous les acteurs jouent le jeu et que la formation et l'information passent, les gens seront plus prudents par rapport aux liens sur lesquels ils cliquent et n'espèreront pas obtenir des choses gratuites sur Internet. Ainsi, nous pourrons réduire les victimes de la cybercriminalité à défaut de pouvoir la supprimer complètement.
Propos recueillis par Christelle HOUETO, journaliste digital