Développement de la Cybernétique mondiale et prochaine édition du GC3B en Afrique

 

Interview avec Moctar Yédaly

 

L'évolution rapide de la technologie a transformé la manière dont le monde fonctionne. Cette mutation numérique s'est accompagnée d'une recrudescence des menaces sur les systèmes d'information, plaçant la cyber-résilience au cœur des priorités pour les entreprises et gouvernements. 

Il s'agit pour eux de mettre en place des infrastructures appropriées, un cadre réglementaire, structuré, solide et développé une stratégie robuste de renforcement des capacités. L'objectif, mieux anticiper, faire face et rebondir face aux incidents de cybersécurité tout en assurant une continuité des opérations essentielles.  Ce sujet fera l’objet de discussion au cours de la première Conférence Mondiale sur le Renforcement des Capacités Cyber (GC3B) qui aura lieu du 29 au 30 novembre 2023 au Ghana à Accra.

Pour aborder l’ensemble de ces enjeux cyber et les sujets qui seront adressés à la prochaine GC3B, Africa CyberSecurity Mag a le privilège de recevoir Monsieur Moctar Yedaly, ancien Ministre de la Transformation Numérique, de l'Innovation et de la Modernisation de l'Administration en Mauritanie, Ancien Chef du Département de société de l’information de la Commission de l'Union Africaine, et depuis juillet 2023 dernier, il est l'envoyé spécial de la Conférence mondiale sur le renforcement des capacités en matière de cybersécurité  (GC3B). 

Africa CyberSecurity Mag: Vous avez été récemment nommé envoyé spécial pour la Conférence Mondiale sur le Renforcement des Capacités Cyber: Global Conference on Cyber Capacity Building  (GC3B). Quelle est votre mission à ce nouveau poste stratégique et quels sont les défis majeurs qui se présentent déjà à vous ?

Moctar Yedaly: C'est une très bonne question. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier  de cette opportunité offerte.  

En effet, j’ai été honoré par la communauté internationale et les sponsors principaux de la conférence notamment le Forum Global pour l’Expertise en Cybersécurité, la Banque Mondiale, le Forum Economique Mondial (WEF) et le Cyber Peace Institute par cette mission dont l’objectif ultime est de contribuer à rassembler les décideurs, et experts de tous bords et de tous les secteurs qui œuvrent pour une gestion efficace, durable et inclusive de la coopération internationale pour un développement cyber-résilient. Cette conférence dont c’est la première édition est unique en son genre.

Elle vise à catalyser l'action mondiale afin d'élever et d'intégrer la cyber-résilience et le renforcement des capacités dans le programme de développement international et dans les plans et investissements nationaux de développement en tant que catalyseurs clés du développement durable, de la croissance économique inclusive et de la prospérité sociale pour tous. 

Jusqu’à présent, nous n’avons rencontré que de l’enthousiasme pour l’évènement. 

Mais nous déployons beaucoup d’efforts pour faire participer les pays à revenu faible et intermédiaire ainsi que la société civile et le secteur académique. C'est notre approche. Une approche multi-acteur qui permettrait à ce que tout le monde puisse participer.

Africa CyberSecurity Mag: Fort de vos expériences variées, notamment en tant qu'Ancien Ministre de la Transformation Numérique de l'Innovation et de la Modernisation de l'Administration de la Mauritanie et au sein de la Commission de l'Union africaine, comment ces rôles ont-ils façonné votre vision des défis et des opportunités en matière de cybersécurité en Afrique ? 

Moctar Yedaly: Ces deux fonctions ont certainement changé beaucoup ma perception du monde numérique que j’ai pu voir plus sous les angles politiques et sécuritaires que sous l’angle technique de l’ingénieur que je suis. Si j’ai pu faire la fonction. On dit parfois que la fonction fait l’homme et l’homme fait la fonction.  

Les fonctions que j'ai occupé au niveau international, régional et national ont certainement façonné ma vision des défis et opportunités en cybersécurité en Afrique. Voici quelques constats :

  1. L'Afrique est au cœur de la révolution numérique, avec une innovation dynamique, une présence croissante des entreprises dans le numérique et une adoption des opportunités de la connectivité mondiale.
  2. L'explosion des interactions en ligne a créé d'innombrables opportunités de cyberattaques, entraînant des violations de données aux conséquences majeures pour les individus et les entreprises.
  3. La cybercriminalité est une menace croissante en Afrique et cela  en partie est due à un manque de sensibilisation généralisé.
  4. Malgré des progrès, de nombreux pays africains ont encore des infrastructures de cybersécurité inadéquates, notamment le manque de professionnels qualifiés et d'investissements gouvernementaux.
  5. La cybercriminalité est une réalité actuelle qui menace entreprises, gouvernements et populations, mais offre aussi l'opportunité de renforcer les capacités et d'investir dans la jeunesse pour faire face à ces défis numériques.

En somme, je mesure donc combien la cybersécurité est vitale pour le continent africain et une condition sine qua none pour profiter de l’ère du numérique.

Africa CyberSecurity Mag: La première édition du GC3B se tiendra à Accra, au Ghana, du 29 au 30 novembre 2023. Est-ce que le choix de l'Afrique comme hôte pour cette conférence prestigieuse signifie-t-elle un signal sur l'importance du rôle que peut jouer le continent sur la scène de la cybersécurité internationale ?

Moctar Yedaly: En tant qu’africain et panafricaniste, je suis immensément fier de voir le pays de Kwame Nkrumah, le Ghana être le berceau de la GC3B. Le Ghana est un modèle de leadership en matière de gouvernance nationale de la cybersécurité et de la promotion de la sécurité numérique. En hébergeant sans hésiter cette conférence, le Ghana, non seulement renforce ce leadership en /pour l’Afrique, mais se taille une place sur la scène de la cybersécurité internationale. « L’appel d’Accra à l’action » à adopter par la conférence sera aussi pertinent que l’appel de Paris et /ou l’appel à l’action de Christchurch. 

Cette conférence est plus qu’un événement ; C’est un témoignage de ce que nous pouvons accomplir lorsque nous nous unissons face à l’adversité numérique. En matière de sécurité numérique, nous sommes une famille. Le Ghana, avec son esprit pionnier, éclaire la voie à suivre, nous montrant que les nations africaines peuvent jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration du paysage de la cybersécurité de demain. 

Africa CyberSecurity Mag: Quels seront les grands sujets qui seront débattus par les acteurs de haut niveau représentés durant ces deux jours de conférence à Accra au Ghana ?

Moctar Yedaly: Dans un monde de plus en plus connecté, la sécurité numérique est cruciale pour tous ; des individus aux gouvernements. Les discussions lors de la conférence au Ghana se concentreront sur des domaines clés tels que les technologies cloud et l'intelligence artificielle, les services gérés, la coordination internationale, et bien d'autres. Les principes directeurs de ces discussions incluent un cyberespace ouvert, la responsabilité partagée, l'expertise locale, la coordination efficace et la prise en compte des besoins des pays émergents, notamment en Afrique.  Une session spéciale se penchera sur un Agenda de renforcement des capacités en cybersécurité pour l'Afrique, élaboré par des experts africains avec le soutien du GFCE. Pour la mise en place de cet agenda africain, il est prévu le lancement du Hub Afrique du GFCE en marge de la conférence.

Africa CyberSecurity Mag: Qu'espérez-vous accomplir lors de cette première Conférence  du GC3B et comment cela pourrait-il influencer la trajectoire de la cyber-résilience à l'échelle mondiale ?  

Moctar Yedaly:  Lors de cette première Conférence du GC3B, notre principal objectif est de catalyser des avancées significatives dans le domaine de la cyber-résilience à l'échelle mondiale. Nous espérons accomplir plusieurs résultats clés :

Tout d'abord, nous cherchons à sensibiliser davantage les acteurs mondiaux, y compris les gouvernements, le secteur privé et la société civile, sur l'importance de la cyber-résilience dans le contexte du développement international. En mettant en avant les avantages de l'intégration de la cyber-résilience dans les programmes de développement, nous espérons influencer les politiques et les investissements pour une sécurité numérique accrue.

Deuxièmement, nous visons à renforcer la collaboration entre les secteurs public et privé, ainsi qu'entre les différents acteurs de la société, en reconnaissant que la cyber-résilience ne peut être atteinte que par une approche multipartite. Nous souhaitons encourager des partenariats plus solides pour relever les défis systémiques et protéger les infrastructures critiques.

Troisièmement, la Conférence mettra en lumière le rôle crucial du renforcement des capacités en cybersécurité pour la stabilité internationale et 

le développement durable. En soutenant les initiatives de renforcement des capacités, nous contribuerons à un environnement numérique ouvert, sûr et pacifique, tout en faisant avancer le cadre de comportement responsable des États et la protection de l'environnement numérique au niveau international.

Enfin, notre approche transversale mettra l'accent sur l'opérationnalisation des solutions pratiques, fournissant une assistance immédiate à ceux qui travaillent sur le terrain en matière de développement. Cela inclut la protection contre les risques et les menaces numériques, ainsi que la promotion de solutions de cybersécurité axées sur la demande.

Dans l'ensemble, nous espérons que la Conférence du GC3B contribuera à faire avancer la cyber-résilience à l'échelle mondiale en renforçant la sensibilisation, en favorisant la collaboration, en développant les capacités et en offrant des solutions pratiques. Cela pourrait influencer la trajectoire de la cyber-résilience en faisant progresser les normes internationales et en créant un élan vers un environnement numérique plus sûr et plus résilient pour tous. Parmi les résultats attendus on peut noter : 

  1.  Un programme mondial de renforcement des capacités en cyber sécurité de haut niveau, axé sur la demande, qui réponde aux besoins et aux priorités des pays en     développement.
  2. Une architecture mondiale améliorée des mécanismes de coordination et de coopération pour le renforcement des capacités en matière de cybersécurité en tirant parti des structures existantes et en renforçant les initiatives mondiales, régionales, multipartites ainsi que la coopération public-privé.
  3. Élargir le pool de ressources disponibles pour une cyber-résilience équitable, durable et axée sur la demande pour le développement grâce à la mobilisation de différentes sources de financement provenant du développement international, du secteur privé et de la philanthropie. 

Africa CyberSecurity Mag: Dans quelle mesure la collaboration internationale est-elle essentielle pour renforcer la cyber-résilience et comment le GC3B envisage-t-il de faciliter ces partenariats entre nations et entités du secteur privé ?

Moctar Yedaly: Le cyberespace touche tous les aspects de nos vies. Il nous permet de nous connecter, de travailler, d’apprendre et de voyager autrement, et joue un rôle important dans la protection des biens essentiels de la vie tels que la nourriture, l’eau et les soins de santé.

Outre les énormes opportunités qu’offre le monde numérique, il s’accompagne également de risques numériques qui peuvent avoir de graves répercussions sur nos vies et notre société. Pour garantir un monde numérique libre, ouvert et sûr, la communauté internationale doit travailler ensemble. En collaborant et en se soutenant mutuellement avec des ressources, de l’expertise et des compétences (renforcement des capacités cybernétiques). 

Toutes les nations peuvent et doivent assumer leur responsabilité de protéger notre cyberespace mondial. Après tout, notre monde numérique est aussi fort et sûr que le maillon le plus faible.

C’est l'essence même de cette conférence : Souligner l’importance d’une collaboration et de partenariats efficaces. Ce n’est que grâce à de tels efforts concertés que nous pourrons favoriser une culture de la sécurité numérique. Nous devons nous unir en tant que nations pour nous protéger et protéger nos actifs numériques contre les menaces croissantes dans le cyberespace. 

 

Propos recueillis par Christelle HOUETO, Journaliste digital