Le rôle de l’APSI-NE dans la construction d’un écosystème national de cybersécurité au Niger
Dans un contexte marqué par la montée en puissance de la cybercriminalité en Afrique, le Niger n’échappe pas aux menaces numériques qui visent aussi bien les particuliers que les institutions publiques et privées. Face à ces défis, l’Association des Professionnels de la Sécurité de l’Information du Niger (APSI-NE) s’impose comme un acteur clé dans la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des acteurs nationaux.
Créée pour fédérer les experts et promouvoir les bonnes pratiques, l’association joue un rôle central dans la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des acteurs publics comme privés. À sa tête, M. Aboubacar Yacouba Mai Birni défend une vision ambitieuse, celle d’un Niger résilient face aux cybermenaces, capable de s’inscrire pleinement dans la dynamique régionale et internationale de cybersécurité. Dans cette interview, il revient sur les défis auxquels fait face le pays, les initiatives portées par l’APSI-NE et les perspectives pour renforcer la confiance numérique.
Africa Cybersecurity Mag : Quel est l’état des lieux de la cybersécurité au Niger?
Aboubacar YACOUBA : Le Niger vit une transformation numérique rapide : nos services se digitalisent, nos infrastructures critiques deviennent de plus en plus interconnectées, et les usages numériques explosent. Mais, comme partout, ce progrès attire aussi des risques : cyberattaques, fraudes, désinformation numérique, fuites de données, et une forte dépendance à des technologies étrangères. En Afrique, les cyberattaques hebdomadaires par organisation ont augmenté de 23 % en 2023, le taux le plus élevé au monde. Les pertes économiques annuelles dues à la cybercriminalité sont estimées à 4 milliards de dollars. Et selon l’Union Internationale des Télécommunications, le Niger est classé Tier 4, c’est-à-dire parmi les pays à faible maturité cyber. Donc, oui, nous avançons, mais nous restons encore très vulnérables.
Africa Cybersecurity Mag : Pouvez-vous nous rappeler la genèse de l’APSI-NE et ses principales missions ?
Aboubacar YACOUBA : L’APSI-NE a vu le jour il y a un an. Elle s’inscrit dans une dynamique régionale puisque nous nous sommes inspirés de l’APSI-CI en Côte d’Ivoire, et nous voyons aujourd’hui naître d’autres APSI : APSI-Guinée, et bientôt au Gabon, au Togo, au Burkina Faso et au Congo. Notre mission est claire : sensibiliser, former et accompagner les acteurs publics et privés. Notre vision est ambitieuse : faire du Niger un modèle en cybersécurité en Afrique de l’Ouest. Et nos objectifs sont concrets : fédérer les experts, accompagner les institutions, former les décideurs et les citoyens, mais aussi travailler avec l’État pour définir un cadre adapté à nos réalités. En résumé, l’APSI-NE, c’est une plateforme qui rassemble, qui accompagne et qui alerte.
Africa Cybersecurity Mag : Dans l’une de vos publications, vous proposez cinq priorités. La première concerne la gouvernance nationale. Pourquoi est-ce central ?
Aboubacar YACOUBA : La cybersécurité ne peut pas être gérée de manière dispersée. Elle concerne l’État, le secteur privé, les collectivités, les forces de défense, et même chaque citoyen. Sans coordination centrale et vision stratégique, chacun agit de son côté, ce qui fragilise l’ensemble du système. Le Niger dispose déjà d’une Stratégie nationale de cybersécurité 2023–2027, structurée autour de quatre axes principaux :
- Renforcer le cadre législatif, réglementaire et institutionnel pour protéger tous les utilisateurs du numérique.
- Sécuriser les infrastructures critiques, en développant les capacités opérationnelles et humaines.
- Accroître la confiance dans l’usage des TIC via des dispositifs de prévention, de détection et de réponse aux cyberattaques.
- Promouvoir les partenariats public-privé et public-public, en consolidant la coopération nationale, régionale et internationale.
Des avancées concrètes ont déjà été franchies récemment : le décret du 16 mai 2025 a réorganisé le Ministère de la Communication et des Nouvelles Technologies de l’Information en intégrant deux structures clés : une Direction de la Cybersécurité, placée au cœur de l’administration centrale ; un Centre National de Cybersécurité (CNAC), désormais un acteur de référence dans la coordination et la réponse aux incidents.
Ces initiatives sont très positives, mais il est crucial d’aller plus loin. Il faut garantir que ces structures disposent des moyens et de l’autonomie nécessaires pour fonctionner efficacement, et que leurs missions soient soutenues par un cadre clair, définissant précisément les rôles de chaque acteur : État, secteur privé, collectivités, forces de sécurité.
Nos recommandations principales :
- Créer une Agence nationale de cybersécurité indépendante, capable de piloter, coordonner et réguler l’écosystème.
- Avec un CERT national, pour organiser et interconnecter la réponse aux incidents dans tous les secteurs.
En résumé, la gouvernance cyber ne se résume pas à des institutions isolées. C’est un écosystème structuré, mobilisé et capable d’anticiper les menaces.
Africa Cybersecurity Mag : Depuis la création de l’APSI-NE, quels défis avez-vous rencontrés ?
Aboubacar YACOUBA : Comme toute aventure collective, nous avons eu notre lot d’obstacles… et même quelques surprises. Au départ, notre idée était simple : rassembler les professionnels nigériens de la cybersécurité, qu’ils soient au pays ou à l’extérieur, pour dire aux institutions. Voilà, il existe des Nigériens prêts à contribuer, à bâtir avec vous, à protéger notre espace numérique. Mais très vite, nous avons compris que ce ne serait pas une promenade de santé. Premier défi : la mobilisation institutionnelle. Chaque pays avance à son rythme, avec ses priorités et ses contraintes. Ce qui marche au Ghana ou au Bénin ne s’applique pas forcément au Niger. Nous avons par exemple vu nos collègues de l’APSI-GABON obtenir le parrainage officiel de leur gouvernement pour le lancement de leur association d’ici décembre. Nous, au Niger, nous avons dû apprendre à faire sans.
Deuxième défi, les moyens financiers. Nous avons commencé sans financement, en misant uniquement sur l’engagement de nos membres. Quand on n’a pas de budget, on développe… de la créativité. C’est ainsi que nous avons lancé nos Spaces hebdomadaires, chaque samedi depuis un an, pour débattre entre experts, partager des solutions locales et garder le sujet vivant dans le débat public et nous préparons notre première conférence 100% en ligne en décembre. Mais au fond, c’est aussi ça notre force : nous avons appris à bâtir avec zéro franc. Cela nous a rendus résilients, agiles, et peut-être même un peu têtus (rires). Aujourd’hui, nous commençons à être soutenus par des partenaires privés qui rejoignent l’association en tant que membres sympathisants ESPA-MT, i-Futur et Integral Technologies que je tiens à remercier chaleureusement. Leur adhésion montre que le secteur privé croit en notre démarche et en notre capacité à faire bouger les lignes.
Alors oui, quand le soutien institutionnel arrivera, il sera bienvenu. Mais il ne fera qu’accélérer un mouvement déjà lancé. Parce que nous avons déjà prouvé une chose essentielle : avec de la volonté, de l’expertise et un travail acharné, on peut construire de belles choses, même sans budget initial.
Africa Cybersecurity Mag: Quelles actions concrètes l’APSI-NE a-t-elle menées récemment pour sensibiliser ou former les acteurs locaux ?
Aboubacar YACOUBA : Dès le départ, nous avons privilégié l’action. La plus importante est notre programme de mentorat, qui concerne déjà plus de 200 étudiants en fin de cycle et jeunes professionnels en reconversion. Ce parcours de six mois, dont deux intensifs, inclut formations et projets pratiques sur des métiers clés : SOC, pentest, gestion des risques. L’objectif est de donner aux jeunes Nigériens des compétences opérationnelles pour intégrer rapidement le marché du travail. Nous avons aussi instauré nos sessions hebdomadaires, d’abord sur X, puis en live chaque samedi soir sur LinkedIn et Facebook. Ces débats publics rassemblent experts, étudiants et curieux, et permettent de vulgariser la cybersécurité auprès d’un large public.
Enfin, nous travaillons sur la production de guides pratiques destinés aux collectivités, entreprises et institutions. Le premier, publié le 15 septembre, porte sur la gouvernance locale pour une meilleure gestion des crises cyber au Niger. Nous avons également publié un livre blanc sur l’intégration de la cybersécurité dans les politiques publiques africaines. En résumé, nos actions vont du mentorat à la production intellectuelle, en passant par des débats ouverts et réguliers pour créer une véritable culture cyber au Niger.
Africa Cybersecurity Mag: Qui peut adhérer à l’APSI-NE et quelles sont les conditions d’adhésion ?
Aboubacar YACOUBA : L’association est ouverte à tous ceux qui souhaitent contribuer au développement de la cybersécurité au Niger et en Afrique. Concrètement, nous avons trois catégories de membres :
- les membres actifs : professionnels ou passionnés nigériens qui participent directement aux projets, formations, commissions de travail et décisions stratégiques. Ils disposent du droit de vote à l’Assemblée générale et peuvent piloter des initiatives .
- Les membres donateurs : personnalités reconnues dans le domaine, nigériennes ou non, qui apportent mentorat, expertise et orientation stratégique ;
- les membres sympathisants : particuliers ou entreprises intéressés par la cybersécurité sans implication quotidienne, mais qui participent à nos événements, suivent nos actualités et bénéficient de networking.
Les conditions sont simples : partager nos valeurs, s’engager selon son rôle et contribuer à la vie de l’association par la sensibilisation, la formation, la recherche ou le soutien institutionnel. En résumé, que vous soyez expert, étudiant, entreprise ou institution, il existe une place à l’APSI Niger pour contribuer, apprendre et agir ensemble.
Africa Cybersecurity Mag: Un mot de fin?
Aboubacar YACOUBA : La cybersécurité, c’est avant tout une question de souveraineté et de sécurité nationale. Trop souvent, on croit que le Niger ou l’Afrique sont en marge, mais la réalité est claire : nous sommes déjà des cibles. Les cyberattaques ne sont pas une éventualité lointaine, elles sont une certitude. La question n’est pas si elles arriveront, mais quand elles arriveront et comment nous y répondrons.
Propos recueillis par Christelle HOUETO, journaliste digital