Cybercriminalité et protection des enfants dans le cyberespace Congolais
L’Afrique connait de jour en jour une montée de la connectivité numérique et le Congo ne fait pas exception. Cela ouvre de nouvelles opportunités pour l'éducation et le développement des enfants sur plusieurs aspects comme les compétences numériques, le développement social et émotionnel. Néanmoins, cette connectivité expose également les plus jeunes à des dangers grandissants dans le cyberespace. La cybercriminalité, autrefois perçue comme un fléau distant, s'immisce de plus en plus dans les activités en ligne des enfants.
Exploitation sexuelle, harcèlement et cyberintimidation ne sont que quelques-unes des menaces auxquelles ils sont confrontés. Face à cette réalité, il devient impératif de renforcer les mécanismes de protection et d'éduquer les jeunes générations aux risques liés à Internet. Car les protections existantes sont souvent insuffisantes, et les parents, les éducateurs et les décideurs doivent s’adapter rapidement pour garantir un environnement en ligne sûr pour les enfants. Cybercriminalité et la protection des enfants dans le cyberespace Congolais, c’est le sujet de cette nouvelle édition du Cyberinterview sur Africa Cybersecurity Mag. Pour en discuter, nous recevons Murphy SEMO - Expert juridique en répression de la cybercriminalité au Congo.
Africa CyberSecurity Mag : Avec la montée en puissance des technologies numériques, les formes de cybercriminalité évoluent. Quelles sont les formes les plus courantes de cybercriminalité ciblant les enfants dans le cyberespace africain et comment cela se manifeste ?
Murphy SEMO : Les enfants en Afrique comme ailleurs dans le monde, sont particulièrement vulnérables à plusieurs formes de cybercriminalité. Les formes les plus courantes incluent l’exploitation sexuelle en ligne, qui prend la forme de grooming, où des prédateurs manipulent des enfants pour obtenir des contenus sexuels ou pour établir des contacts physiques. Nous observons également une montée du harcèlement en ligne ou cyberintimidation, qui peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale des jeunes. Enfin, la sextorsion, où les enfants sont trompés pour partager des informations personnelles ou des images compromettantes est un autre phénomène préoccupant.
La pornographie infantile cf. chapitre 8 des arts 27 à 30 sur la loi du 5 juin 2020 portant lutte contre la cybercriminalité : comportements sexuels de toutes natures impliquant des mineurs (entre mineurs ou entre un mineur et un adulte, du même sexe ou de sexes opposés : la zoophilie; la masturbation, l’exhibition lascive des parties génitales d’un mineur, etc.), le cyberharcèlement, le grooming (le grooming désigne le processus par lequel un adulte aborde intentionnellement des mineurs et les manipule à des fins sexuelles.), le revenge porn ou pornodivulgation avec chantage.
Africa CyberSecurity Mag : Comment les pratiques de navigation des enfants sur internet influencent-elles leur exposition aux risques cybercriminels ?
Murphy SEMO : Les pratiques de navigation des enfants influencent directement leur exposition aux risques. Beaucoup d’enfants accèdent à des plateformes sociales sans la supervision adéquate, ce qui les expose à des contenus inappropriés ou à des interactions avec des inconnus malveillants. Les jeux en ligne, souvent populaires parmi les jeunes, comportent aussi des risques, car ils peuvent inclure des chats ouverts ou des options de messagerie qui ne sont pas sécurisées. La curiosité naturelle des enfants, combinée à un manque d’éducation sur les dangers potentiels, augmente leur vulnérabilité à la cybercriminalité.
Base légale : Article 180 de la Loi n°8-2001 du 12 novembre 2001 sur la liberté de l’information et de la communication dispose : « le fournisseur d’accès prend toutes dispositions techniques utiles pour protéger l’enfance et l’adolescence contre la diffusion des messages à caractère délictueux. Les programmes, qui par leurs natures, peuvent porter atteinte au respect et à la dignité de la personne humaine à l’éducation des mineurs de 18 ans et à la morale publique ou à l’ordre social sont interdits ».
Africa CyberSecurity Mag : Les parents et les éducateurs jouent un rôle central dans la protection des enfants en ligne. Quelles mesures les parents peuvent-ils prendre pour protéger leurs enfants contre les menaces en ligne ?
Murphy SEMO : Les parents doivent jouer un rôle proactif dans la protection de leurs enfants. D’abord, ils doivent installer des logiciels de contrôle parental pour surveiller l’utilisation de l’internet et des appareils numériques. Ensuite, la communication est essentielle. Les parents doivent avoir des discussions ouvertes avec leurs enfants sur les risques en ligne, leur expliquer ce qu’il faut éviter, comme partager des informations personnelles, et leur enseigner comment réagir s’ils se sentent menacés. Enfin, les parents doivent eux-mêmes se familiariser avec les plateformes que leurs enfants utilisent et les sensibiliser aux bonnes pratiques numériques.
Base légale : La majorité numérique correspond à l'âge auquel la loi considère une jeune fille comme le propriétaire de ses données personnelles. Un mineur peut consentir seul à un traitement des données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre de services de la société de l'information à compter de l’âge de seize (16) ans. Lorsque le mineur est de moins de seize (16) ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de l’autorité parentale à l’égard de ce mineur. Conformément à l’art 62 de la loi n° 29-2019 du 10 octobre 2019 portant protection des données à caractère personnel.
Africa CyberSecurity Mag : Quels sont les efforts fournis des gouvernements africains pour lutter contre la cybercriminalité ciblant les enfants, en particulier au Congo ?
Murphy SEMO : Le gouvernement congolais a fait des efforts notables pour combattre la cybercriminalité, en particulier à travers la mise en place de législations spécifiques et la création d’organismes spécialisés dans la cybersécurité. Nous avons vu des campagnes de sensibilisation pour éduquer le grand public et des formations pour renforcer les capacités des forces de l’ordre dans la répression des délits numériques. Toutefois, ces efforts doivent être intensifiés pour inclure des programmes spécifiques de protection des enfants, notamment en collaborant avec les écoles et les parents afin de créer un réseau de protection plus solide autour des jeunes utilisateurs du cyberespace.
Africa CyberSecurity Mag : Quels sont les principaux textes juridiques en vigueur au Congo pour protéger les enfants contre les menaces en ligne ? Sont-ils adaptés aux défis actuels de la cybercriminalité ?
Murphy SEMO : Le Congo a adopté plusieurs lois pour lutter contre la cybercriminalité, à savoir :
- La loi n°8-2001 du 12 novembre 2001 sur la liberté de l’information et de la communication ;
- Loi n° 30-2019 du 10 octobre 2019 portant création de l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information ;
- Loi n° 29-2019 du 10 octobre 2019 portant protection des données à caractère personnel ;
- Loi n° 2019-37 du 12 décembre 2019 relative aux transactions électroniques ;
- Loi n° 26-2020 du 5 juin 2020 relative à la cybersécurité ;
- Loi n°27-2020 du 05 juin 2020 portant lutte contre la cybercriminalité ;
- Loi n°19-22 du 4 mai 2022 portant lutte contre les violences faites aux femmes en République du Congo.
NB : Bien que ces lois fournissent un cadre juridique pour sanctionner les crimes en ligne, elles doivent être complétées par des mesures plus spécifiques ciblant les enfants. Actuellement, les mécanismes pour faire face à des problèmes comme le harcèlement en ligne ou l’exploitation des mineurs manquent de précision ou de moyens d’application adéquats. Il est essentiel de mettre à jour les lois pour mieux répondre aux nouveaux défis que posent les évolutions technologiques.
Africa CyberSecurity Mag : Quel est votre mot pour conclure cette interview ?
Murphy SEMO : La protection des enfants dans le cyberespace est une responsabilité collective. Les parents, les éducateurs, les gouvernements et même les entreprises technologiques doivent travailler ensemble pour créer un environnement en ligne sûr pour nos jeunes. Il ne s’agit pas seulement de légiférer ou de punir les criminels, mais d’éduquer et de sensibiliser pour éviter que les enfants ne deviennent victimes. Nous devons rester vigilants et faire évoluer nos méthodes de protection au même rythme que la technologie elle-même.
Propos recueillis par Christelle HOUETO, journaliste digital